Alfred Wolfsohn
Alfred Wolfsohn est né à Berlin en septembre 1896, dans une famille juive allemande. Jeune appelé, il a participé à la guerre des tranchées et a été blessé lors d’une nuit de bombardements. Ramassé le lendemain sur le champ de bataille par des brancardiers qui le croyaient mort, Alfred Wolfsohn doit à son réveil s’extirper d’une pile de cadavres au milieu de laquelle il avait été enfoui.
À sa sortie de l’hôpital militaire en 1919, il est toujours mentalement et physiquement brisé. Aucun traitement n’a pu le soulager et il est victime d’hallucinations auditives : les cris de détresse d’un soldat qui agonisait à quelques mètres de lui, lors de cette nuit qui a failli lui être fatale, résonnent encore dans sa tête. Il est également hanté par la culpabilité de ne pas avoir su porter secours à cet homme.
Pendant les dix années qui suivent, il lutte contre cet état de santé précaire, notamment par la fréquentation d’œuvres d’art lors d’un voyage en Italie. Se rappelant du plaisir et de l’émotion qu’il avait lorsque, enfant, il chantait, Alfred Wolfsohn a l’intuition que le chant pourrait l’aider à se reconstruire et à redonner du sens à sa vie. Il prend des cours avec plusieurs professeurs de chant sans trouver ce qu’il cherche.
Il commence alors un travail, à la recherche de ce qu’il nomme ‘La voix humaine’ : une voix capable de produire une très vaste palette de notes et de qualités, dépassant la notion habituelle de registres pour exprimer le masculin aussi bien que le féminin, ainsi que toutes les émotions humaines. Il s’établit comme professeur de chant et obtient des résultats, notamment avec plusieurs chanteurs lyriques qui avaient perdu leur voix. En travaillant avec ses élèves, il comprend que leurs problèmes vocaux sont toujours liés à des souffrances psychiques et que le travail qu’il propose leur permet d’améliorer simultanément leurs performances vocales et leur équilibre psychique. Il se passionne pour la psychologie et la philosophie et découvre de nombreux parallèles entre ce qu’il expérimente dans ses leçons et les écrits de C.G. Jung.
Les persécutions antisémites liées à la montée du nazisme rendent son travail de plus en plus difficile et l’amènent à fuir Berlin en 1939. Parvenu en Angleterre, il se porte volontaire pour servir dans un corps spécial de l’armée britannique. Après la guerre, il reprend ses recherches sur la voix, à Londres. Dans les années cinquante, son travail est remarqué par plusieurs cercles : la BBC réalise un documentaire sur lui, son élève la plus brillante donne un concert dans un lieu prestigieux et s’attire les louanges des critiques et un disque 33 tours présentant ses travaux est commercialisé par une maison de disques aux USA.
Lorsque Wolfsohn est rattrapé par la maladie, l’un de ses élèves les plus prometteurs, Roy Hart, décide de prolonger ses recherches. Wolfsohn meurt en 1962 d’une infection pulmonaire.
Alfred Wolfsohn est l’auteur de manuscrits (‘Orphée ou le chemin vers un masque’, ‘Le pont’) non publiés en français à ce jour. Il a eu une influence capitale sur Charlotte Salomon. Il apparaît à maintes reprises dans son œuvre ‘Vie ? ou Théâtre ?’ sous le pseudonyme de Amadeus Daberlohn.
Pour en savoir plus sur Alfred Wolfsohn, visitez le site ‘Roy Hart Theatre Archives’, hébergé et maintenu par Paul Silber (articles en ligne ; livres, CDs et DVDs à la commande).
www.roy-hart.com/writingsaboutawe.htm
Charlotte Salomon
Charlotte Salomon est née dans une famille juive en 1917 à Berlin. Elle perd sa mère lorsqu’elle a neuf ans. Quatre ans plus tard, son père se remarie avec une cantatrice renommée, Paula Lindberg.
En 1935, Charlotte est acceptée à l’École Nationale d’Académie des Beaux-Arts. Elle est la seule juive de sa classe. Elle rencontre le professeur de chant de sa belle-mère, Alfred Wolfsohn, dont la philosophie et les recherches sur l’art et la vie lui font très forte impression.
Après la Nuit de Cristal, la situation devient intenable pour les Juifs et début 1939, son père l’envoie auprès de ses grands-parents émigrés dans le Midi de la France, dans une villa appartenant à une riche Américaine.
En septembre 1939, sa grand-mère dépressive fait une tentative de suicide. Pendant qu’on la ranime, son grand-père apprend à Charlotte que sa mère n’est pas morte d’une grippe comme on le lui a raconté mais qu’elle s’est suicidée. De plus, cet évènement s’inscrit dans une longue lignée : côté maternel, six autres membres de sa famille se sont suicidés. Charlotte est dévastée. Quelques semaines plus tard, sa grand-mère parvient à se donner la mort.
En 1940, elle subit une nouvelle épreuve en étant emprisonnée avec son grand-père au camp de Gurs, dans les Pyrénées. Du fait de la santé fragile de celui-ci, ils sont relâchés après six semaines à la condition qu’elle s’occupe de lui. De retour sur la Côte d’Azur, Charlotte est sujette à un profond désespoir, mais elle se souvient de ses conversations avec Alfred Wolfsohn et des encouragements qu’il lui prodiguait en l’incitant à se livrer corps et âme à son art. Elle décide d’échapper à l’atavisme suicidaire qu’elle sent à l’œuvre en elle comme chez les autres femmes de sa famille, en créant quelque chose de ‘vraiment fou et singulier’. Elle peint 1325 gouaches en l’espace de dix-huit mois.
En 1942, son ouvrage prend fin : elle sélectionne 769 gouaches pour créer ‘Vie ? ou Théâtre ?’. C’est une œuvre picturale complexe qui marie formidablement le texte et le graphisme et qui donne en outre des indications de pièces musicales en regard de certains dessins. Cet ouvrage autobiographique se présente comme une grande fresque en trois parties. Le prélude expose dans le détail son enfance ; la partie principale est dédiée à Alfred Wolfsohn, qu’elle rebaptise ‘Amadeus Daberlohn’, à ses théories et à la relation qu’elle entretenait avec lui ; l’épilogue est consacré à la vie de Charlotte en France et à sa conviction de transformer son autobiographie en œuvre, ‘un livre traitant des vérités premières’. Charlotte met toutes les peintures dans deux grands paquets qu’elle donne à son médecin : ‘Gardez-les, c’est toute ma vie’ lui dit-elle.
En février 1943, son grand-père meurt. En juin, Charlotte se marie avec Alexander Nagler, un réfugié autrichien. En septembre, les Allemands remplacent les Italiens sur la Côte d’Azur et les menaces s’intensifient. Le 21 septembre, Charlotte et Alexander sont arrêtés près de Nice et déportés à Auschwitz. Le 10 octobre 1943, à l’âge de 26 ans, Charlotte, enceinte de cinq mois, est gazée. Alexander meurt d’épuisement le 1er janvier 1944.
Charlotte n’a pas échappé aux Nazis, mais elle a réussi son pari : par son geste artistique, elle a su éviter le suicide et transformer son tragique destin personnel en un chef-d’œuvre d’art et d’humanité, aujourd’hui exposé et reconnu mondialement par le public et la critique d’art.
Une première exposition de son œuvre a eu lieu à Amsterdam en 1961. C’est à cette occasion que Wolfsohn découvre par le biais d’un carton d’invitation l’influence prépondérante qu’il a eue sur elle. Ironie de l’histoire : alors que Charlotte intègre à son œuvre une grande partie de sa philosophie et de son enseignement, qu’elle cite par le menu ses propos et qu’elle le fait apparaître sous les traits de Amadeus Daberlohn plusieurs centaines de fois dans son œuvre, Alfred Wolfsohn meurt en 1962 sans jamais avoir vu ‘Vie ? ou Théâtre ?’.
En 1971, les œuvres de Charlotte Salomon sont léguées au Musée historique juif d’Amsterdam (Fondation Charlotte Salomon). Cette institution a la responsabilité de faire connaître cette œuvre d’art unique en son genre par le biais de livres, de CD-ROM et d’expositions qui parcourent les capitales du monde entier.
En France, l’écrivain David Foenkinos a contribué à faire connaître la vie et l’œuvre de Charlotte Salomon en 2014 à travers son roman ‘Charlotte’ qui a reçu le prix Renaudot et le Goncourt des lycéens.
http://www.jhm.nl/english
Pour en savoir plus sur Charlotte Salomon, visitez le site « Roy Hart Theatre Archives », hébergé et maintenu par Paul Silber (articles en ligne ; livres, CDs et DVDs à la commande).
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Roy Hart
Roy Hart est né à Johannesburg, Afrique du Sud en 1926. Il a étudié la psychologie et la langue anglaise à l’Université de Witwatersrand, où il s’est imposé comme un acteur doué. Il a ensuite obtenu une bourse pour venir étudier à Londres dans la prestigieuse « Royal Academy of Dramatic Art » (R.A.D.A.) Bien qu’il soit considéré comme un bon étudiant à la R.A.D.A., Roy Hart sentait que les personnages qu’il jouait de manière si convaincante n’étaient que des fictions de son imagination et qu’il lui manquait quelque chose.
Sa rencontre fortuite avec Alfred Wolfsohn a été décisive. Il a abandonné une carrière prometteuse dans le théâtre commercial (West End Theatre) pour étudier avec lui. Pour poursuivre la recherche de ce « quelque chose qui lui manquait », Roy Hart n’a pas joué en public pendant les dix-sept années qui ont suivi. Une période d’intense activité artistique et psychothérapeutique internationale a démarré pour lui en 1969.
Il a été l’interprète soliste des oeuvres « Versuch über Schweine » de Henze, « Huit chants pour un roi fou » de Maxwell-Davies et « Spirale » de Stockhausen. Il a ensuite monté « Les Bacchantes » d’Euripide avec sa propre compagnie. Il a été invité en tant que conférencier à des congrès de théâtre et de psychothérapie dans le monde entier et des personnalités telles que Grotowski, Peter Brook ou Arthur Koestler sont venues discuter avec lui dans son studio à Londres. En 1972, il a commencé à jouer en tant qu’acteur avec sa propre compagnie, qui comptait dorénavant plus de quarante membres.
En 1974, le groupe s’est installé au Château de Malérargues, au coeur des Cévennes, dans le sud de la France. Roy Hart est décédé dans un accident de voiture lors d’une tournée en mai 1975. Sa femme Dorothy et son amie Vivienne Young sont mortes avec lui. Tous trois sont enterrés à Malérargues. Pour explorer l’héritage de Roy Hart plus en profondeur, visitez le site web Roy Hart Theatre Archives, hébergé et maintenu par Paul Silber. Vous pouvez aussi y acheter des livres, CDs et DVDs.
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Photo © Ivan Midderigh
Dorothy Hart
Dorothy Hart, par Linda Wise
Dorothy Findlay est née le 8 mai 1926 au Kenya, quatrième et dernière fille de Constance et Hugh Findlay. Elle appartient à la troisième génération de colons blancs au Kenya – alors partie de la colonie britannique d’Afrique orientale (British Colonial East Africa). Comme bien des enfants nés aux colonies britanniques, on l’envoie à l’âge de quatre ans ‘au pays’, en Angleterre, pour son éducation. Dorothy vit avec sa grand-mère veuve et ses trois sœurs à Peaslake (Surrey). Tous les quatre ans, les parents rendent visite aux fillettes. Elles sont placées en pensionnat et passent leurs vacances chez leur grand-mère ou, dans l’Ouest de l’Écosse, chez leurs cousins. La famille Findlay est aussi un clan et l’on voit sur certaines photos toutes les sœurs vêtues du motif écossais propre au clan Farghuason lors d’immenses pique-niques sur les landes d’Écosse.
Petite Dot – c’est son surnom* – déborde de vitalité. Sa meilleure amie est sa sœur Anne, la plus calme et réfléchie de toutes les sœurs et la seule blonde au milieu des beautés brunes. Dot est douée sur le plan artistique, notamment en musique, et remarquablement intelligente. Curieuse, d’esprit vif et aventureux. Comme ses sœurs et comme toute sa génération, elle réussit à survivre à une situation familiale très peu chaleureuse. Granny Touche, sa grand-mère et mon arrière-grand-mère, est une dame impressionnante et austère, avec le sens du décorum et des conventions morales propres à cette génération. Mais c’est aussi une féministe qui croit à l’équité, ainsi qu’à l’importance de l’éducation et de l’indépendance des femmes.
L’enfance de Dorothy s’achève avec la Seconde Guerre mondiale. Son père, presque un inconnu pour elle, meurt d’un cancer du poumon. Ses sœurs aînées quittent l’école pour se joindre à l’effort de guerre. Sa scolarité se poursuit et Dorothy est reçue à la prestigieuse Université de Cambridge – une victoire pour les femmes de cette époque, encore taxées de « bas bleus », façon de dénigrer les femmes de sciences. A Cambridge, elle fait la connaissance de Chef Kidaha, de Tanzanie, qui va devenir le père de son fils Jonathan. Cet amour change le cours de sa vie.
J’ignore quand elle retourne en Afrique, mais elle y est au début des années 1950 : mon premier souvenir de Dorothy remonte à l’âge de trois ou quatre ans. Elle vit alors avec sa mère à Waitangi, la plantation de café familiale, gérée par sa mère depuis la mort de son mari. Un jour, elle fait une apparition dans le salon en costume espagnol et danse sur un vieux 78 tours de flamenco, jouant des castagnettes puis courant chanter au piano. Elle est charmante et, pour nous, les enfants du Bush, elle incarne la flamme colorée d’un autre monde. Nous la trouvons splendide, nous nous cachons dans sa chambre pour ouvrir les placards et regarder ces extraordinaires robes à volants de flamenco. Il y a aussi trois robes de demoiselles d’honneur (pour chacune de ses sœurs) et une robe de mariée.
Quinze ans plus tard, je redécouvre Dorothy, à présent mère de Jonathan et épouse de Roy Hart, vivant à Londres. Sa vitalité et sa chaleur sont toujours là, mais elle est devenue quelqu’un d’autre. Elle mène une vie de travail où sa nature artistique peut s’épanouir. La première fois que je l’entends chanter, je sanglote : je comprends intrinsèquement la manifestation de la voix d’une âme, déchirée et hurlante, d’une beauté transparente et cristalline. Je ne suis pas la seule, elle fait souvent cet effet au public. La première fois qu’elle chante dans le petit temple de Thoiras, un paysan cévenol profondément ému lui dit qu’à l’écouter, il ressent la même joie qu’en labourant ses champs !
Quand j’ai rédigé ma thèse à l’Université de Glasgow, j’ai découvert qu’elle était en réalité l’auteur de tous les articles attribués à Roy Hart. Son esprit permet à Roy de formuler ses pensées et de les écrire. Lorsqu’il travaille comme soliste pour des compositeurs contemporains, c’est très probablement elle qui le guide sur le plan musical. Elle est souvent la seule voix qui ose s’opposer à Roy Hart et donner son point de vue. Elle questionne, elle provoque, elle crée, elle proteste. Par dessus tout, elle défend chacun, parvenant toujours à déceler ‘l’or’ chez l’autre. Elle aime vraiment les gens. Son rôle est non seulement précieux mais aussi essentiel, au fur et à mesure que la communauté se développe autour de Roy Hart. Avec le recul, je sens que, sur les questions éthiques profondes, elle l’a affronté et stimulé.
Dorothy mérite d’être reconnue à la fois comme une personne exceptionnelle et comme une artiste. Je sens que sa vie a été son art. Toute sa vie, elle a franchi des limites, elle a questionné les normes. Je ne dirais jamais d’elle qu’elle a été la femme derrière Roy Hart ni même à ses côtés : son âme était trop libre, son esprit trop intelligent et sa vie intérieure trop riche pour se résumer à cela. Elle a accompagné Roy Hart en tant qu’épouse légale et compagne précieuse – tout au long de la désintégration de leur couple, elle a crié, elle n’a pas souffert en silence. Elle s’en est relevée non en survivante mais en femme émancipée, capable d’aimer à nouveau et de vivre pleinement sa vie.
Mon dernier souvenir d’elle remonte à quelque jours avant sa mort. Nous marchons dans les montagnes autrichiennes au printemps. Une pause dans une tournée finale. Elle rayonne tout simplement de joie, fascinée par les fleurs qui commencent à éclore, par tant de beauté. Je l’ai alors sentie profondément heureuse et je suis reconnaissante d’avoir pu le dire à ma grand-mère, dont le cœur a failli se briser de chagrin en apprenant sa mort, survenue le 18 mai 1975.
Quand on m’a demandé d’écrire quelques mots sur Dorothy Hart, pour le site du Centre Roy Hart, je n’ai pas hésité une seconde. L’hésitation a surgi quand j’ai commencé à penser à ce qu’il serait pertinent d’écrire, dans le contexte très spécifique du site Internet. A mon avis, Dorothy Hart, une chanteuse véritable, mérite une biographie complète. Dorothy est décédée trop tôt, laissant derrière elle un silence exigeant autour de sa vie. Un jour, sa véritable histoire sera racontée.
Linda Wise
* Ou ‘Petit point’. Jeu de mot sur son prénom : ‘dot’ signifie point.
Le Roy Hart Theatre
Roy Hart étant acteur, il était naturel qu’il utilise des textes de théâtre pour faire travailler le groupe qui s’était formé autour de lui après la mort de Wolfsohn. Il a finalement décidé de s’attaquer au texte intégral des ‘Bacchantes ‘ d’Euripide. Il a insisté pour que tout le monde apprenne le texte entier avant de commencer les répétitions. En plus des répétitions, l’analyse des rêves et la recherche sur l’inconscient universel et individuel occupaient le groupe plusieurs heures par jour. ‘Ne faites pas semblant d’être une femme folle, assoiffée de sang, trouvez-la en vous-même et soyez-en une’.
Le résultat était trois heures d’improvisation psychique qui pouvait être joué dans un sens ou dans l’autre, pêle-mêle ou en charabia, et jamais deux fois de la même façon. Cette production a influencé Peter Brook pour son Marat-Sade. Jack Lang a invité ce spectacle au Festival de Nancy en 1969. La première représentation a eu lieu devant une audience réduite et la moitié des spectateurs sont partis avant la fin. Pour la deuxième représentation également, la salle n’était qu’à moitié pleine et, là encore, la moitié du public est parti. La troisième afficha complet, les quatrième et cinquième étaient pleines à craquer – et toujours l’auditoire se vidait pour moitié. C’était ‘l’événement du festival’ et une légende était née.
Le nom ‘Roy Hart Theatre’ a été choisi après cela. Ce travail sur les Bacchantes a été présenté à Londres quelques temps plus tard, mais sous une forme complètement différente qui n’avait pour ainsi dire pas été répétée : Rebaptisé ‘The Front Eye’, le spectacle était presque totalement improvisé. C’était une gigantesque ‘leçon de chant’ subtilement dirigée par Roy (lui-même présent sur scène derrière un piano à queue mobile monté sur des roues). Après cette expérience, Roy a déclaré : ‘dorénavant le travail ne sera plus pour 51% thérapie et pour 49% art, mais l’inverse’ et le théâtre est né. Une série de spectacles expérimentaux ont ensuite été développés avant de se cristalliser dans la pièce intitulée ‘And’, située entre la thérapie et l’art. ‘And’ était une recherche sur le théâtre pré-verbal.
Cette improvisation organisée fut une véritable réussite. Spectacle physique, musical mais sans parole intelligible, ‘And’ se terminait par ‘l’accord magique’. Conçu à partir d’un accord harmonique auquel participait tout le groupe, ‘l’accord magique’ se développait sur huit minutes en un crescendo très progressif qui menait au final au cri et à l’effondrement physique des interprètes épuisés, en tas, au sol. Mais Roy voulait utiliser la parole sur scène, combien même serait-elle incompréhensible des spectateurs. Son dernier spectacle, ‘L’Economiste’ était d’ailleurs en français, une langue que peu de spectateurs londoniens pouvaient comprendre. L’intérêt porté au travail de la compagnie étant beaucoup plus grand sur le continent qu’en Angleterre, la troupe a déménagé à Malérargues. C’est au cours de la première tournée européenne (en Autriche et en Espagne) que Roy a été tué dans un accident de voiture avec sa femme Dorothy et avec Vivienne. Dans une grande douleur et une immense détresse économique, la troupe a recréé ‘L’Economiste’ comme un Requiem. ‘La Tempête’, la première création du groupe en l’absence de Roy a continué la tradition des grandes productions et des tournées.
Pendant ce temps, de petites créations issues de l’inspiration personnelle de quelques membres voyaient le jour : L’Enthousiasme, Enchanté, Dites-moi, Te Pardi, Le Roi Se Meurt, Pan, Pagliacci, Musiques pour Marsyas, Moby Dick et d’autres encore, des spectacles tous très différents les uns des autres. Au début des années 1990, le groupe a décidé de ne plus utiliser le nom Roy Hart Theatre pour les créations artistiques, mais seulement pour l’activité d’enseignement artistique. En conséquence, le Centre Artistique International Roy Hart est né en 1991, comme une ombrelle qui recouvre et regroupe toute la famille des individus et des tendances.
Pour explorer l’héritage du Roy Hart Theatre plus en profondeur, visitez le site web Roy Hart Theatre Archives, hébergé et maintenu par Paul Silber. Vous pouvez aussi y acheter des livres, CDs et DVDs.
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Photo © Richard Bruston
Histoire de Malérargues
La région montagneuse des Cévennes dans le sud de la France est réputée pour son indépendance, comme en témoignent le soulèvement des Camisards sous Louis XIV et la forte résistance locale à l’occupation du 3ème Reich. Le Château de Malérargues a une histoire exotique liée à ces luttes et nous aimons croire que le Roy Hart Theatre a continué cette tradition en s’installant là en 1974…
Le Château de Malérargues. Nous avons transformé une ruine en un bel endroit pour l’étude, l’enseignement et la création. Ce lieu accueille des étudiants, des éducateurs et des curieux venus de tous les coins du monde pour découvrir des approches uniques de la voix, du corps, du mouvement et de la psychologie. Ces approches peuvent être utilisés non seulement dans le domaine des arts de la scène mais aussi dans la vie quotidienne. L’enseignement est diversifié, mais toujours dans la tradition du Roy Hart Theatre, c’est à dire fondé sur l’idée (d’abord développée par Alfred Wolfsohn et reprise par Roy Hart) qu’il existe un lien profond entre la voix d’une personne et son psychisme.
Malérargues et les Cévennes ont été un foyer de la révolte Huguenote et de la dernière résistance des protestants Camisards contre Louis XIV au début du 18e siècle. 2004 a marqué le 300e anniversaire de la fin de la guerre des Camisards, mais aussi le 30e anniversaire de l’achat et de l’installation à Malérargues du Roy Hart Théâtre (1974.) Ce n’est pas la seule coïncidence troublante. Les Camisards ont fui à Londres où ils ont fait sensation avec leur cultes de ‘Théâtre sacré’, en particulier avec leurs voix inspirées. Ils ont été surnommés ‘Les Prophètes Français’. Lorsque le Roy Hart Theatre s’est présenté pour la première fois dans des temples protestants des Cévennes, c’était avec des interprétations de gospels en ‘voix étendues’ et une version à gorges déployées du chant choral ‘Alleluia’ de Haendel. On a parlé du ‘retour de la voix dans les Cévennes’ et même de l’arrivée de… ‘Prophètes anglais’!
Au cours de la Seconde Guerre mondiale, Malérargues est devenue une école de formation pour le mouvement de la Résistance. Robert Francisque a servi sous Henri Meyrueis, le propriétaire de Malérargues, dans une campagne en Indochine. Robert quitta l’armée pour entrer au service de Meyrueis au Château. Compte tenu de son passé militaire, Robert « le Noir », comme on l’appelait, a été en mesure de former les jeunes cadets. Il est devenu l’un des leaders du Maquis de Lasalle et a participé à de nombreuses activités de sabotage. Il a également joué un double jeu dangereux en s’enrôlant dans la Milice. En 1944, il a été trahi et l’a payé de sa vie : il a été abattu devant le Château.
Malérargues, 1974. Entre juillet 1974 et mars de l’année suivante, 49 membres du Roy Hart Théâtre ont déménagé de Londres à Malérargues – et dans cette même période, 5 toits se sont effondrés sur place ! Avec peu d’argent et en dormant parfois à 6 dans une même chambre, en s’octroyant 2 bains par semaine dans de l’eau recyclée et en utilisant des toilettes chimiques, nous avons travaillé sur les bâtiments et créé « L’Economiste ». En mai, pendant la première tournée de ce spectacle, Roy, Dorothy et Vivienne, les trois personnes les plus importantes de notre troupe ont été tuées dans un accident de voiture. En plus de représenter une énorme perte au niveau personnel et artistique, leur mort avait aussi d’impitoyables implications financières. Nous nous sommes demandés si nous ne devions pas tout abandonner et retourner à Londres.
Nous avons décidé de résister.