Paul Silber, 13 mai 1938 – 28 juin 2022

Paul-Silber-Centre-Roy-Hart
Le dernier concert de Paul avec Sašo, 2018

Paul Silber

ÉLOGE FUNÈBRE DE CLARA SILBER POUR LA CÉRÉMONIE DE CRÉMATION, CANET-EN-ROUSSILLON, 5 JUILLET 2022

Paul était un amoureux de la vie avec une source d’énergie inépuisable. Un ami proche l’appelait récemment, un visionnaire et un pionnier.

Né juste avant la 2ème guerre mondiale, il a montré, dès son enfance, un talent pour le dessin et le travail du bois. Sa mère, une femme d’une grande perspicacité, l’encourage à faire du théâtre. Il joue quelques rôles d’enfant et, après son service militaire obligatoire en Allemagne, il rejoint un théâtre de répertoire provincial. Il passe ensuite dans le West End de Londres, où il apparaît dans les chœurs de spectacles musicaux. Mais ce n’était pas son rêve de création, cela faisait trop usine. Lorsqu’il entend parler d’un homme appelé Roy Hart, qui ressuscite les rêves d’art perdus, Paul veut immédiatement le rencontrer. Il a rejoint le groupe, qui est finalement devenu le Roy Hart Theatre, et a joué un rôle central dans son développement en participant dans chaque représentation.

Paul était un miraculé. Il a survécu à l’accident de voiture qui a tué trois personnes, dont Roy Hart, sans même se casser un os.

Il est devenu un professeur de travail de la voix respecté et très apprécié. Comme l’a dit l’un de ses élèves : ‘Paul pouvait me dire les choses que j’avais besoin de savoir d’une manière telle que je pouvais les entendre et les comprendre.’ Ensemble, nous avons guidé des centaines, voire des milliers d’étudiants, vers une meilleure compréhension d’eux-mêmes et une appréciation de leurs capacités artistiques, à travers l’exploration de leur voix.

Dans notre relation, notre mariage, nous n’étions jamais séparés : enseigner, jouer, voyager, divertir. De nos mains et de nos muscles, nous avons construit une splendide maison à Malérargues. Des terrasses abandonnées, nous avons créé un jardin magique orné des sculptures de Paul. Paul a écrit des histoires courtes et un livre délicieux sur le thème de Narnia. Nous avons créé des films, des dvd, mis en place les archives du théâtre. Nous avons mené ensemble une vie pleine et variée, une aventure constante.

Paul s’est toujours considéré comme un acteur, mais grâce à ma persuasion, il a donné son premier concert de chant solo à l’âge remarquable de 65 ans. Dès lors, plus rien ne pouvait l’arrêter. Comme l’a écrit récemment un grand ami, ‘je ne parle pas seulement en métaphore… : Paul était un vrai chanteur. Sa voix, comme du miel liquide, coulait directement de son cœur vers le vôtre’.

Même trois jours avant sa mort, il a créé une magnifique version improvisée de Summertime que j’ai même filmée. Quel don.

Paul avait une énorme capacité à ressentir, c’est pourquoi j’ai apporté une de ses sculptures ici aujourd’hui, appelée non pas ‘le penseur’, mais ‘celui qui a des sens’.

En 2018, nous avons déménagé de Malérargues à Port-Vendres, où nous nous sommes réjouis de la beauté de ce littoral escarpé, nous avons participé à diverses présentations culturelles et nous avons apprécié la compagnie d’amis chaleureux et solidaires.

Le grand cœur généreux de Paul a lâché mardi dernier, le jour de Ste Irenée, le nom de sa mère. Elle était sans doute là pour guider son cher Pauli à voler comme un oiseau et à être libre de tout empêchement physique.

Je me sens privilégiée d’avoir passé 47 ans dans une relation d’amour avec une personne aussi sage et douée.

Clara

LETTRE DE JONATHAN HART MAKWAIA (29 JUIN 2022)

Mon cher ami Paul continue de vivre avec moi et le fera pour le reste de ma vie. Je ressens tant d’amour pour lui, tant d’admiration.

L’amour de Paul pour Clara, et leur amour l’un pour l’autre, est une histoire d’amour extraordinaire pour les âges, et aussi réelle et terre à terre que possible. Si vous voulez apprendre ce qu’est l’amour, tournez-vous vers eux.

L’amour de Paul était au cœur de toutes ses actions et de toute sa conception de la vie. C’était clair, aussi, dans sa dévotion à ma mère, Dorothy. L’amour durable que Paul et Clara avaient pour Dorothy a accompagné les débuts de leur relation et a été une source nourricière pour eux tout au long de leur mariage et de leur vie commune en constante évolution.

L’autre grand amour de Paul était Roy, à qui il était éternellement fidèle. Dans sa quête pour rester fidèle à la philosophie de vie de Roy, je crois que Paul a en fait forgé son propre chemin de vie. Et Paul était un forgeur de chemins. Il était un visionnaire et un pionnier, des aspects fondamentaux de sa personne, souvent sous-estimés. Son amour était également une passion pour la vie, qui s’exprimait par une soif d’invention : en tant qu’écrivain, peintre, sculpteur, façonneur de terrain, architecte et concepteur de solutions globales. Il était un Léonard de Vinci moderne, un véritable génie.

Son inventivité unique se manifeste également dans sa façon de s’exprimer verbalement. Les choix inhabituels de vocabulaire de Paul permettaient de saisir des nuances essentielles et étaient en fait très précis. J’ai trouvé que ses commentaires sur ma musique étaient plus utiles sur le plan pratique que ceux de la plupart des musiciens.

Il est difficile de croire qu’il n’a jamais donné un concert complet avant l’âge de 65 ans. Pour moi, c’était un cadeau de travailler avec Paul sur ses premiers concerts ; de partager la découverte et la vulnérabilité, d’expérimenter une perspective rafraîchissante sur la musique, et de sentir nos esprits danser ensemble au niveau le plus intime. Merci, Paul, pour ce cadeau. Et merci à Clara, omniprésente et la force d’amour qui a poussé Paul à continuer à explorer.

Quand je me souviendrai de Paul, je penserai toujours à Clara. Je me souviendrai aussi de Dorothy, et je penserai à Roy. Je me souviendrai de l’esprit sauvage de Paul qu’il n’avait pas peur d’exprimer, un esprit qui incluait la tendresse la plus pure. Je me souviendrai des bouteilles en verre coloré de la première petite maison de Paul et Clara, Versailles. Je me souviendrai de Paul portant une perche de télégraphe en marchant à reculons le long du haut du mur pendant la construction de la maison. Et je me souviendrai de ses facéties. À 84 ans, Paul était en quelque sorte encore un enfant, et pourtant un homme de la plus grande intégrité.

Paul, cela va me manquer de ne plus être avec toi en personne, mais tu es toujours présent avec moi. Quelle que soit la forme que prendra ton esprit à partir d’ici, je sais que tu es entouré d’amour. Porte-toi bien.

Jonathan

RENCONTRER ET VIVRE SUR SCÈNE AVEC PAUL SILBER, PAR SAŠO VOLLMAIER 

Je suis venu vivre en France en 2013 pour un développement personnel et professionnel. Je suis entré dans ce cheminement par le biais de Pantheatre (Linda Wise, Lisa Mayer et Enrique Pardo), et c’est alors que j’ai commencé à collaborer avec de plus en plus d’acteurs et de chanteurs.

Une rencontre très importante et cruciale a eu lieu sur ce chemin, j’ai rencontré un homme appelé Paul Silber. Grâce à notre collaboration, j’ai commencé à comprendre le rôle que, en tant que musicien, je n’avais jamais compris aussi clairement auparavant – celui de la narration dans son sens le plus complet.

Je me souviens de nos premières répétitions dans le studio avec notre directrice musicale, Clara Silber, lorsque Paul m’a dit : ‘Sašo, tu n’as qu’à me suivre, moi et la phrase musicale’. À l’époque, je me suis demandé : ‘Oui, mais y a-t-il un espace pour moi aussi ?’. Il y avait un espace, beaucoup d’espace que Paul offrait, parfois simplement en s’asseyant sur le grand tabouret et en écoutant. Il s’agissait plus de créer la trame d’une histoire que d’une question musicale. Paul pouvait écouter mes interventions avec des oreilles ouvertes, parfois il riait, parfois il me regardait sérieusement et je comprenais qu’il voyait ce que je disais à travers le piano.

J’ai commencé à jouer différemment. Jouer avec Paul a ouvert une nouvelle direction, que je suis maintenant sans lui. Il s’agissait d’une invitation dans un espace spécial où je pouvais entendre les mots, les phrases, l’histoire, la respiration et, bien sûr, la présence d’un homme qui pouvait donner un sens à toutes les erreurs et à tous les moments d’insécurité. Je suis/étais un de ces musiciens qui n’entendent pas toujours les paroles, mais avec Paul, c’était différent. Paul m’a constamment surpris, jusqu’à notre dernier concert ensemble, me rappelant qu’avec ses interprétations des chansons, nous ne répéterions jamais la même chose. Il prenait parfois plus, parfois moins de temps dans et avant chaque phrase qu’il chantait. J’ai adoré les moments d’entrée sur scène avec lui, longue inspiration… Go!

Nous sommes devenus amis. J’ai l’impression que nous nous sommes rencontrés là, comme deux hommes ayant la même envie et la même perception de la vie. Notre histoire sur et en dehors de la scène a créé un lien fort où nous pouvions jouer avec chaque instant, étirer et jouer avec le temps. Je pouvais voir Paul parcourir toutes les périodes de sa vie à travers son chant. Il m’invitait à le voir, à le comprendre et, surtout, je croyais en chaque mot et ligne de voix qu’il créait. Nous étions comme deux enfants, essayant de comprendre la croissance et tous les défis que la vie nous apporte. Parfois en regardant la vie avec des oreilles d’enfants, d’autres fois en regardant en arrière. Nous pouvions nous sentir très vieux aussi. Quel voyage !

Je me souviens de la voix de Paul, elle est très proche de moi. Je l’entends maintenant en écrivant cette lettre, il chante tout près de mon oreille : “You make me feel so young…”

Sašo

TEXTE DE NADINE GEORGE, LA PREMIÈRE FEMME DE PAUL

Paul était une personne merveilleuse, un artiste et un chanteur créatif. Je lui serai toujours profondément reconnaissante de m’avoir fait connaître Roy et le travail de Roy et d’Alfred Wolfsohn.

Paul et moi étions deux des premiers élèves de Roy. J’ai eu le privilège d’être enseigné par Roy lui-même pendant cinq ans. Paul et moi avons également eu le privilège de voyager avec Roy, Dorothy et d’autres pour séjourner à « Awe », le chalet de Louis dans les montagnes. C’est là que j’ai appris à connaître Roy comme un être humain remarquable et un grand artiste créatif, un cadeau que je n’oublierai jamais.

Paul et moi avons continué à explorer avec le groupe d’étudiants travaillant avec Roy. Après la création des « Bacchantes » d’Euripide, le groupe a pris le nom « Roy Hart Theatre ».

Quelques années plus tard, Paul, moi-même, Roy, Dorothy, Davide, Vivienne et Lucienne nous sommes rendus en France pour trouver un endroit où le théâtre pourrait vivre et travailler. Nous avons trouvé le Château de Malérargues dans les Cévennes. Nous savions tous que c’était l’endroit idéal pour le Roy Hart Theatre. Le reste appartient à l’histoire.

Je souhaite à Paul une paix profonde et durable avec ses cendres dispersées dans la mer, libérant ainsi son âme.

Nadine

TÉMOIGNAGE DE RALF PETERS

Pour lire les souvenirs de Ralf Peters, professeur au Centre Roy Hart, et étudiant et ami de longue date de Paul, veuillez cliquer sur l’image ci-dessous.

Ralf Peters Paul Silber Roy Hart Centre 2023
Paul Silber, Centre Roy Hart
la baie de Paulilles, Port-Vendres, 2020

Je me considère comme l’un des hommes les plus chanceux de cette planète. Par chance, les marées ont été avec moi tout au long de ma vie. D’une manière ou d’une autre, j’ai toujours réussi à prendre la marée à pleins bords et à naviguer sans être laissé à l’abandon dans les bas-fonds. – Paul Silber

Cette citation est tirée de A Celebration of Life, le livret écrit par Paul et Clara en 2000 pour marquer les 25 ans du tragique accident de voiture. Le texte de Paul a été écrit en relation avec cette citation de Jules César de Shakespeare. “There is a tide in the affairs of men which, taken at the flood, lead on to fortune ; Omitted, all the voyage of their life is bound in shallows and miseries.” (Les affaires humaines ont leurs marées, qui, saisies au moment du flux, conduisent à la fortune; l’occasion manquée, tout le voyage de la vie se poursuit au milieu des bas-fonds et des misères. – Trad. François Guizot, 1864)

MERCI DOROTHY POUR TES RÊVES

– un poème écrit par Paul le 3 juillet 2019 –

 

Les souvenirs dérivent comme des rêves oubliés

certains ne sont pas oubliés,

certains ne sont pas des rêves.

Ils sont tous réels

d’une manière ou d’une autre,

ils s’alignent comme de bons soldats,

certains au repos,

d’autres au garde-à-vous.

Tous sont encore debout

attendant l’ordre –

“Par la gauche” …

“Marche rapide”

et nous partons, enfants impatients

qui piétinent le sol.

“Se retourne à droite” …

enfin une courbe douce,

le sourire aux lèvres.

“Et … halte”

Gauche et stop,

droite et trépigne.

Les pieds s’arrêtent …

à l’intérieur le mouvement continue.

On avance, on avance, on avance …

à travers le sombre tunnel que nous traversons.

L’éternité est un long moment,

mais elle a une fin,

comme toutes les bonnes choses doivent le faire.

La vie continue quand même,

peut-être pas comme vous la connaissiez

Sous une forme ou une autre
elle continue, elle continue …

moi aussi,

et vous aussi.

Paul Silber and Clara Silber Harris
la jetée, Port-Vendres, juin 2020