Marita Günther

Marita Günther par Susanne Weins

Marita Günther est née le 15 septembre 1928 à Leipzig et est décédée le 21 mai 2002, au nord de l’Allemagne. Elle a passé la plus grande partie de son exceptionnelle vie en Angleterre et en France, puisqu’elle a été l’une des premières disciples de la recherche d’Alfred Wolfsohn autour de la ‘Voix humaine’.
Même si elle ne s’imaginait jamais revoir l’Allemagne ou parler allemand à nouveau, son premier et son dernier souffle ont été pris dans son ‘Heimat’. Ce terme allemand, pour lequel elle n’arrivait à trouver aucun équivalent français ou anglais, réfère à l’idée du ‘foyer’. Elle le citait souvent en exemple pour décrire la profondeur des nuances et la richesse de la langue allemande. La délicatesse de sa compréhension et de son expression donnaient sens et chaleur au lexique allemand.
Les expériences terrifiantes vécues par Marita dans sa jeunesse, dans une Allemagne en pleine Deuxième Guerre mondiale, son expérience des atrocités découlant de la haine antisémite, les politiques anti-intellectuelles et le développement culturel en Allemagne de l’Est, par la suite, lui ont dénié l’espace de liberté dont une jeune femme, avec sa profondeur d’âme, son talent, sa sensibilité et sa grande humilité, aurait eu besoin pour développer son plein potentiel. Elle a donc décidé de migrer vers l’Angleterre pour étudier la langue et la littérature.
Comme elle le disait, cette décision s’est avérée être l’un des points tournants les plus significatifs de sa vie. À Londres, elle est entrée en contact avec Alfred Wolfsohn, un cousin maternel au second degré, dont la philosophie et les enseignements ont résonné si profondément en elle, qu’elle a senti le besoin de le suivre, lui et son travail, qui sont devenus à la fois les ancrages et amours de sa vie.
Il est possible d’affirmer que Marita Günther était l’une des amies les plus proches d’Alfred Wolfsohn et un témoin privilégié des développements importants survenus dans sa recherche, puisqu’après leur rencontre, elle ne l’a plus quitté, restant même à ses côtés pendant les années marquées par la maladie qui l’ont mené à la mort.
Marita était absolument ravie d’être héritière des manuscrits et écrits d’Alfred Wolfsohn. Elle les considérait comme son trésor le plus cher, et tenait fermement à publier les originaux ou les traductions qu’elle en avait faites. Elle voulait les offrir au monde entier, pour qu’il découvre la valeur et la beauté de l’approche d’Alfred Wolfsohn, qui posait la psyché humaine comme source de la créativité de l’être humain. Malheureusement, ce dessein n’a pu être accompli de son vivant, toutes ses tentatives ayant échoué par quelque malchance, ce qui l’a fortement contrariée, particulièrement parce qu’elle s’en était fait une mission toute personnelle.
Elle était une professeure sérieuse, chaleureuse et pleine de sagesse, qui partageait sans réserve avec ses étudiants les idées et expériences qu’elle avait développées au contact de Wolfsohn. Même si elle n’a jamais elle-même senti l’impulsion de devenir actrice ou chanteuse, elle encourageait, orientait et appuyait tous ses élèves à croître artistiquement, avec doigté. Elle a aussi suivi le conseil de Wolfsohn à propos de sa propre démarche artistique : ‘Le défi de faire en sorte que l’impossible se réalise, l’image absurde de faire chanter une roche, m’a accompagnée jusqu’à ce que j’accepte petit à petit qu’un certain talent artistique sommeillait en moi’.
C’est peut-être parce qu’elle a emprunté un chemin si ardu dans la quête et l’expression de sa propre voix que Marita est devenue une professeure patiente et mature. Elle laissait chaque note grandir et prendre une signification personnelle. Sa spécialité était sans doute sa capacité à épurer un son jusqu’à sa plus simple expression, jusqu’à ce qu’il fonde, se casse et renaisse ensuite dans toute son ampleur. Marita n’était pas intéressée par ce qui était superficiel dans la performance; elle repérait immédiatement ce qui était faux, et comprenait les raisons motivant cette dissimulation ou cette lutte. Elle utilisait alors sa main de fer dans un gant de velours pour que l’âme reprenne son caractère d’auto-responsabilité et de créativité.
Mais, dans tout ce que Marita dégageait et partageait, son trait de personnalité le plus beau était sa chaleur et sa compréhension bienveillante et profonde de la condition humaine et du potentiel créatif du cœur et de l’âme. Toutes ses conceptions intellectuelles et son approche de l’écriture, des textes de chansons, de la biographie, des mythes, de la psychologie et de la philosophie étaient en lien direct avec sa manière d’aborder le développement de l’expression vocale.
Je la cite ici à ce propos: ‘Les années passées à me démener pour arriver à chanter m’ont dirigée vers une autre des maximes préférées d’Awe : ‘Chanter signifie apprendre à aimer’… Je constate que ma capacité à aimer commence à se teinter d’une autre qualité, plus profonde. Elle est ancrée dans la somme de mes expériences de vie. Par l’entremise de mon enseignement, j’ai développé plusieurs merveilleuses amitiés… qui, le plus souvent, ont évolué vers un réel attachement personnel.’
Marita adorait écrire et tous ses journaux personnels, ses lettres imaginées à Alfred Wolfsohn, ses nouvelles sont une démonstration du dialogue intérieur qu’elle entretenait en permanence avec son bien-aimé parent, professeur et ami. Elle était absolument persuadée de la justesse de la conception de la voix de Wolfsohn et l’a animée, développée et enrichie de sa propre poésie et expérience de vie, dans laquelle sa façon d’aimer (avec une touche typique de sévérité allemande) a pris la forme d’une attitude charmante.
Finalement, et avec un talent certain, elle est parvenue à toucher au jeu d’acteur. Dans ‘Le roi se meurt’, mis en scène par Johannes et Rafael, elle a tenu les rôles de la jeune et de la vieille reine, ce qu’elle a beaucoup aimé : ‘J’ai trouvé que le processus en a valu la peine, qu’il a été tout à fait satisfaisant. J’ai eu du plaisir à jouer les deux rôles. Toutefois, je dois avouer que c’est la jeune reine, la reine Marie, qui m’a plu davantage et qui m’a donné le plus de défi. Après tout, dans les années 80, j’étais dans la cinquantaine avancée et, pour incarner un personnage immature, enjoué et profondément amoureux, j’ai dû puiser dans mes ressources jusque-là inexploitées. La jeune Marita, dans la vraie vie, n’avait pas eu la possibilité de vivre ces sentiments. C’était donc l’opportunité pour moi de les extraire de moi, tout en étant bien dirigée dans le processus… L’effet que ça a eu sur moi a été tripartite : croissance artistique, enrichissement émotionnel et changement physiologique. J’ai commencé à me sentir plus jeune, et même à paraître plus jeune – une transformation visible.’
À 70 ans, elle a réalisé un autre rêve et désir d’enfance, en s’inscrivant à l’Université d’Hanovre en littérature allemande! À cette époque, elle a non seulement semblé rajeunir mais son âme et sa présence se sont mises à s’épanouir dans toute leur beauté. Elle avait même prévu donner un petit concert pour son 75e anniversaire. Je me souviens que Rossignol l’a joyeusement qualifiée de ‘vieille mais florissante jeune étudiante’. Nous sentions tous que ce changement constituait une étape essentielle pour le plein accomplissement de la vie de Marita.
Le décès subit de Marita, encore si jeune, a été une perte immense pour tous ses amis. Toutefois, tout le monde était convaincu qu’elle avait vécu une vie bien remplie, pas toujours facile, mais qu’elle avait su voir tous les défis comme des occasions de grandir. Elle est morte en présence d’un de ses plus chers amis. Elle a dit, dans l’un de ses derniers écrits : ‘La maxime préférée d’Awe s’est, dans mon cas, pleinement réalisée : ‘Pour aimer la vie dans son entièreté, il faut comprendre et inclure son autre côté, celui de la mort et de la souffrance.’ C’est ce que je veux dire quand je répète : je souhaite à tous ceux que j’aime de vivre des expériences profondes et difficiles, pour qu’ils soient obligés d’explorer les profondeurs de leur propre psyché.’

Merci, Marita, d’avoir partagé si généreusement avec nous ta profonde sagesse! Elle continue de résonner, et de résonner… Tout de même, j’aimerais parfois pouvoir m’asseoir avec toi, un bon matin, pour un café et une cigarette, en écoutant tes conseils si justes et si précieux.